Back from… Venice Simplon Orient-Express

Pour un souvenir inoubliable !

Il arrive par coursier quelques semaines plus tôt. Un coffret blanc à l’enseigne rehaussée, non pas d’or mais d’argent, avec à l’intérieur un vade-mecum reprenant les détails de la réservation ainsi que deux étiquettes bagages à l’esprit vintage tenues par un cordon de ce fameux bleu assorti à la livrée de ses voitures inaugurée dans les années 20.
Pour quiconque, son nom sonne comme un graal, une promesse de luxe doublée d’un parfum de nostalgie, un voyage dans le temps à nul autre pareil. Pourtant les deux mots composant son nom ont depuis perdu de leur sens. Cela fait bien longtemps que plus personne ne parle d’Orient et que le trajet n’a plus rien d’Express. Il ne l’a d’ailleurs jamais vraiment été. Monter à son bord, c’est aujourd’hui prendre le temps, celui de vivre une expérience unique et hors du commun, de s’offrir un moment d’histoire et de partager une philosophie de vie qui n’a plus cours, celle du Voyage avec un V majuscule, un âge d’or où le périple se voulait long et mener à la conquête de contrées nouvelles. Cela fait maintenant plus de 35 ans, depuis 1982 exactement, que l’une de ses émanations, le Venice-Simplon Orient-Express, en porte les couleurs cultivant cet éloge de la lenteur et reliant entre autres Paris à Venise en vingt heures de temps.

Pour quiconque, son nom sonne comme un graal, une promesse de luxe doublée d’un parfum de nostalgie, un voyage dans le temps à nul autre pareil.

Presque chaque jeudi, en dehors de l’hiver, le rendez-vous se veut immuable en Gare de l’Est. Sur le quai N°5 de celle qu’autrefois on appelait gare de Strasbourg, le même cérémonial se joue entre livrées bleu roi, tapis rouge et portiques dorés. Dans une sorte d’effervescence propre à toute fête qui s’annonce, chacun hésite encore sur la conduite à tenir, entre la componction qu’on attendrait du costume de rigueur, cravate noire pour ces messieurs, robes du soir pour ces dames et la jubilation d’en être. Tout le monde se cherche, se considère. Les porteurs s’activent avec les bagages réduits au minimum pour la cabine, le reste rejoignant le compartiment dédié à cet effet, tandis que le chef de bord pointe les tickets et que le directeur du train vient se présenter. A l’intérieur, les passagers en provenance de Londres et embarqués à Calais sont déjà attablés au premier service, bien plus intéressés par leurs assiettes et le ballet des serveurs que par le tourbillon d’activité se déroulant à l’autre bout du quai. Le majordome d’un des 11 wagon-lits attribué est déjà là au garde à vous, prêt à accueillir avec un verre de Prosecco ses nouveaux pensionnaires immanquablement interloqués de découvrir en sa compagnie l’astucieuse cabine pour l’heure toujours en version jour, tout du moins pour ceux n’ayant pas opté pour une suite ou l’une des 4 grandes suites baptisées Paris, Istanbul Vienne ou Venise et dont nous avons déjà parlé ici. Chacune, en plus d’être un petit bijou d’élégance délicieusement suranné se veut un chef d’œuvre d’ergonomie et d’astuciosité révélant un cabinet de toilette derrière deux portes lambrissées ou transformant une banquette chamarée garnie de têtières en un lit superposé le moment venu. Le Venice-Simplon Orient-Express étant au train ce que Rolls Royce est à la voiture, rien n’est laissé au hasard jusqu’aux sas entre deux voitures tendus de velours bleu atténuant au-delà de l’esthétique les bruits si caractéristiques de friction une fois le train lancé dans sa course. À peine se rend-on compte qu’il s’est ébranlé à 21h58 pétantes.

Le Venice-Simplon Orient-Express étant au train ce que Rolls Royce est à la voiture.

Le quai de la gare est déjà loin lorsque l’on sort de sa cabine marquetée et que l’on arpente comme un funambule les longs couloirs latéraux, se laissant brinquebaler entre portes et fenêtres avec la joie non feinte de l’enfance retrouvée. Il faut en passer des voitures et croiser des passagers, tantôt déjà en peignoirs tantôt encore en fracs avant d’accéder au bar situé au milieu du train. Encore fort encombré à cette heure, l’on s’y faufile en s’excusant, à l’image de garçons en vestons blancs jouant les équilibristes, au milieu d’une foule visiblement à son affaire et devisant gaiment entre les notes d’un piano tout aussi enjoué. Une fois installé un cocktail en main, sur ces banquettes de velours zebré bleu, dans ce cocon d’acajou tamisé entre abats jours plissés et buissons d’orchidées, la magie opère inévitablement et la joie de vivre devient vite contagieuse. Il y a là une satisfaction un peu sotte mais touchante de réaliser un rêve que l’on pourrait aisément qualifier d’universel tant il parle à l’imaginaire collectif depuis que nombre d’écrivains y ont planté l’éblouissant décor de leurs intrigues. « On y est ! » Chacun se le répète à lui-même ou le chuchote dans son groupe. L’on en viendrait presque à se pincer pour s’assurer de ne pas rêver. Quand le maître d’hôtel conduit à la voiture restaurant, on s’en rengorgerait presque, chacun se saluant d’un air entendu, chacun semblant dire « oh vous aussi ? vous allez voir !".

Ces fabuleuses salles à manger écrins qui portent les noms évocateurs d’Etoile du Nord, d’Oriental et de Côte d’Azur méritent bien quelques extravagances

Il faut dire que cette dernière impressionne dans sa mise, bien plus que dans ses saveurs, avouons-le. Les verres taillés, bien qu’alourdis pour conserver leur aplomb, l’argenterie armoriée, la porcelaine dorée à l’or fin, le nappage empesé donne à l’ensemble un irrésistible air de fête que le cuisine malheureusement endormie de Christian Bodiguel, tristement disparu depuis après trente années passé à bord, ne parvient pas à ternir. LVMH, nouvel actionnaire de Belmond propriétaire du train, en profitera peut-être pour hisser la cuisine au niveau de ce palace roulant et l’ancrer dans une modernité et une lisibilité incontournables quand on parle d’assiette aujourd’hui. On s’étonne qu’un de nos très grands chefs n’ait jamais été approché durant toutes ces années pour porter la table au firmament. Pour l’heure, le champagne bien que non inclus continue de couler à flot, les boites de caviar en option elles aussi et définitivement la meilleure de toutes continuent d’être servies avec leurs pommes de terre juste tiédies. Il y a des traditions qu’il ne faudrait pas bousculer non plus. Ces fabuleuses salles à manger écrins qui portent les noms évocateurs d’Etoile du Nord, d’Oriental et de Côte d’Azur méritent bien quelques extravagances. Quand minuit sonne, l’effervescence est toujours à son comble. Bien que partagée entre l’excitation de la découverte de la cabine transformée et l’envie de retenir la nuit, la plupart des convives entend bien boire la coupe jusqu’à la lie et savourer chaque instant. Certains en profitent pour faire du repérage à la boutique de souvenirs pour le lendemain, d’autres s’offrent un dernier digestif retardant le moment de se mettre au lit, un lit étonnamment confortable avec des draps impeccables, une couverture moelleuse et des oreillers en plume sur lesquels le butler aura déposé quelques chocolats de rigueur. C’est à cette heure, à la lueur des veilleuses que la cabine distille le mieux son luxueux parfum et la chaleur de ses tons cuivrés. L’unique nuit à bord (qu’importe le parcours choisi) se doit d’être mémorable. Que l’on ait eu à emprunter lé délicate échelle de velours fleuri pour rejoindre sa couchette supérieure, que l’on ait préféré celle inférieure ou bénéficié d’une grande et opulente suite à lit king size, rien n’est censé venir troubler le sommeil du voyageur et surtout pas un meurtre comme l’avait imaginé Agatha Christie. Pour cela, sans que l’on s’en rende compte, comme dans un parfait numéro d’illusionniste, le train s’arrête en gare pour la nuit avant de reprendre sa route aux premières lueurs et d’arriver en temps et en heure pour le lever du soleil côté suisse.

Derrière les vitres, le paysage défile encore sans relâche, mouvant et changeant dans cette impermanence si caractéristique des voyages en train

Après une toilette de chat faite à la hâte mais à l’eau chaude, quelques passagers se risquent sur le quai respirant un peu de liberté retrouvée, se dégourdissant les jambes en foulant les tapis rouges déployés par les majordomes au garde à vous et képis vissés sur la tête. Face à temps d’honneurs et de regards éveillés par la curiosité ou l’admiration, l’on se sent comme en visite officielle sur l’axe franco-helvète-italien. Ragaillardi par l’air extérieur, parfaitement reposé de la nuit, on s’empresse alors de remonter et de se préparer pour le petit déjeuner qui, pour les plus chanceux et moyennant un supplément, se prend dans ce fameux wagon Côte d’Azur signé René Lalique aves ses reflets bleu et argent comme le laisse suggérer son nom. À cette occasion, le champagne y est servi sans réserve comme s’il coulait de source et se mettait au diapason des bacchantes aussi évanescentes que déliquescentes sculptées ici par le maître verrier. La table se met vite, elle aussi, à déborder de saveurs au point que l’on se demande déjà comment l’appétit reviendra à l’heure du déjeuner plus si lointain. Mais c’est sans compter que le voyage ouvre autant l’esprit que l’appétit. On reprend donc sans vergogne son rond de serviette, au second service toutefois, que le maitre d’hôtel à la mémoire infaillible aura pris naturellement soin de réserver à l’Oriental après l’Etoile du Nord au diner et le Côte d’Azur au petit déjeuner afin que l’expérience soit complète, sans s’abstenir d’un détour par le bar pour un Spritz ou un Campari servi dans les règles de l’art en avant-goût d’une Venise se rapprochant doucement. Derrière les vitres, le paysage défile encore sans relâche, mouvant et changeant dans cette impermanence si caractéristique des voyages en train, alternant imposants massifs, prairies majestueuses et lacs en cascades avant de s’engouffrer nonchalamment dans le tunnel du Saint-Gothard.

À bord du Venice-Simplon Orient-Express il ne se passe pas à un moment où l’on ne soit pris de l’envie de célébrer l’instant présent

Il faudra encore quelques heures au Venice-Simplon Orient-Express avant d’atteindre la lagune et de traverser la plaine italienne déjà suffocante en cette saison. En prévision, les butlers se sont déjà empressés de baisser les stores gansés de cuir et d’activer les ventilateurs d’appoint pour que le système de refroidissement du train parvienne à rafraichir l’ensemble des cabines à l’heure d’une sieste bienheureuse après tant d’agapes. Quand l’heure du réveil sonne et que l’un d’entre-eux, en l’occurrence l’impeccable Paolo, se présente avec un dernier verre de Prosecco à l’heure du thé, on sait bien que la coupe est pleine. Pour autant, dans la cabine inondée d’une belle lumière d’été, encore bercé par le roulis du train dont les effets mettront encore plusieurs heures à se dissiper une fois à terre, on n’ose refuser cette énième tentation.  En fait, à bord du Venice-Simplon Orient-Express il ne se passe pas à un moment où l'on ne soit pris de l'envie de célébrer l'instant présent. On en redemanderait même presque une autre quand il approche la lagune et que chacun se penche hardiment par la fenêtre tentant d’apercevoir la Sérénissime au milieu des flots bleus sur lesquels le train semble glisser à trop grande vitesse tant le moment nous échappe. Mais on voudrait surtout crier au chef de train de faire machine arrière pour revivre une fois encore ce travelling légendaire mais déjà les freins se mettent à crisser. En quelques minutes, les valises ont été extirpées des compartiments et disposées en regard de chaque rame par leur butler émérite. Premiers levés et derniers couchés pendant ces 24 heures de vie commune, le train leur doit beaucoup. Sans eux, sans leur humanité et leur célérité, le Venice-Simplon Orient-Express ne serait pas tout à fait ce qu’il est, mythique et incontournable. On les quitte d’autant plus à regret que comme la plupart des voyageurs de ce jour, on sait bien qu’on ne remontera sans doute jamais à bord de ce monument, préférant en garder un souvenir aussi unique qu’inoubliable. Belmond a tant d’itinéraires de par le monde à explorer par le train que l’on se console rapidement, se prenant déjà à réfléchir à la prochaine destination et en oubliant presque Venise et ses "motoscafi"  gracieusement affrétés et alignés au ponton, prêts à déposer chacun à son hôtel, là où une autre et belle histoire s’annonce… |

Mots : Patrick Locqueneux

Images : Patrick Locqueneux | Olivier Chevalier

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À partir de 2.200£/passager le trajet de Paris à Venise en Cabin incluant le diner, le petit déjeuner, le déjeuner et le tea-time du lendemain (hors boissons)

surclassement selon disponibilité • accueil personnalisé • crédit de 100$/pers min. et jusqu’à 500$ selon le montant du trajet

 
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